tu es chien qui ne se laisse pas couper les griffes
ta dent semble capable de tout
et j’ai cru que tes respirations
étaient des coups de feu
les gens sont les gyrophares
qui calfeutrent mes oreilles
à mesure que les choses s’empilent
la tempête tombe sur notre abri
j’ai trouvé un de tes cheveux
j’ai cru à une brèche de lumière
qui perçait les strates de l’océan
déjà plein de brillants indestructibles
accotée sur le comptoir de la cuisine
j’ai pensé devenir un voilier
sur le fjord
j’accoste sur des berges en sucre
tout se mange
dans l’explosion
du temps qui nous arrose
le froid est une mâchoire agréable
un bandit qui dévalise
la peau sous le linge
tu m’as mordue
j’ai crié
nous continuons à courir sur les vertèbres du monde
Tout en frayant avec les arts visuels et la musique, Virginie Beauregard D. entame une démarche d’écriture en 2005. Dès le départ, ses poèmes sont présentés sous diverses formes, notamment au théâtre de Quat’Sous dans la pièce Dans les charbons (Loui Maufette). Ils sont repris au théâtre à différentes occasions. Virginie Beauregard D. participe à plusieurs événements off ou notoires au Québec et à l’international. Elle a fait paraître des textes dans différentes anthologies et revues littéraires (Estuaire, Moebius, Nouveau Projet, etc.).
En 2010, elle lance un premier recueil, Les heures se trompent de but (l’Écrou). Bachelière en histoire de l’art et en éducation, elle publie le recueil D’une main sauvage (l’Écrou) au printemps 2014. C’est avec ce second livre que Virginie Beauregard D. est finaliste du prix Émile-Nelligan 2015. Elle est aussi lauréate du prix de poésie Jean-Lafrenière–Zénob 2016 décerné par le public du Festival International de la Poésie de Trois-Rivières. Elle publie également le recueil Les derniers coureurs, à l’automne 2018, toujours à l’Écrou, puis, l’année suivante, le recueil de poésie jeunesse Perruche à La courte échelle.
Sa vision de la poésie
La poésie est un instant, une fuite et un approfondissement des choses, des sentiments et de leurs raisons. La poésie détourne les notions d’enchaînement et de narration auxquelles nous habituent les histoires. Travailler sur un poème est pour moi un acte circulaire, sinon d’une forme indéterminée. Il rappelle les mouvements des yeux d’un peintre sur un tableau. Soudain émerge une justesse, plus humble que la vérité. Et là est atteint un sommet qui évite l’affaissement, s’écrit une suite au monde. Le poème justifie des détails et leur donne l’importance stratosphérique qui leur revient.
Le silence, le blanc, le plein, la cohérence, la volonté s’articulent dans le poème. Loin de l’argument qui utilise les mots. La poésie les laisse être une matière libre. Le mot est un sens, un état, une couleur, un rythme.
La poésie sert de remède à la médiocrité, à l’hypocrisie, même à la mortalité. J’ai déjà dit que la poésie était un chien qui léchait une crème glacée tombée sur le trottoir. C’est parce que chaque chose vaut d’être vue et de devenir poème.
Connu sous le nom de capitaine Alexandre lors de la Seconde Guerre mondiale, René Char dirige des actions de résistance pour lutter contre l’invasion nazie. Il développe une poésie de révolte et de liberté qui combat la complaisance. Avec lui, le poème ne peut être qu’une plainte ou une complainte. Il consiste en un territoire autonome qui avance dans le sombre et le clair avec une lucidité humaine et cinglante.
Je n’ai presque jamais écrit de poème sur la poésie. J’ai tendance à vouloir sortir sur le balcon si j’écoute ou si je lis des textes qui racontent la gloire de la poésie. Pourtant, Char parle du poème. À travers lui, chaque chose et chaque mot sont posés et appréciés pour sa valeur intrinsèque. Cette humanité me réjouit. Avec René Char, la brindille raconte l’infini. Le texte est un corridor pour y accéder.
C’est un grand artisan qui fait du bien et qui ne ment pas. Sa quête refuse la hiérarchie et les regroupements opportunistes. Ce n’est pas pour rien qu’Albert Camus disait que Char était le plus grand poète alors vivant. Malgré sa mort, je crois que nous n’avons pas à nous priver de son éclairage et de sa force.
ARGUMENT
Comment vivre sans inconnu devant soi?
Les hommes d’aujourd’hui veulent que le poème soit à l’image de leur vie, faite de si peu d’égards, de si peu d’espace et brûlée d’intolérance.
Parce qu’il ne leur est plus loisible d’agir suprêmement, dans cette préoccupation fatale de se détruire par son semblable, parce que leur inerte richesse les freine et les enchaîne, les hommes d’aujourd’hui, l’instinct affaibli, perdent, tout en se gardant vivants, jusqu’à la poussière de leur nom.
Né de l’appel du devenir et de l’angoisse de la rétention, le poème, s’élevant de son puits de boue et d’étoiles, témoignera presque silencieusement, qu’il n’était rien en lui qui n’existât vraiment ailleurs, dans ce rebelle et solitaire monde des contradictions.
Extrait du Poème pulvérisé
L’énergumène magnifique Joyce Mansour vient d’Égypte et d’Angleterre. Elle écrit pourtant en français et défonce les rayons du surréalisme parisien. Elle fait la révolution dans chaque vers et rend caduques les idées folles de la misogynie et du racisme.
Elle avance sans obstacle en nous convainquant que les obstacles à la liberté sont des inventions farfelues, autant que la bienséance, les rôles sociaux et les archétypes. Demeure le plaisir. Elle invente le monde qu’elle désire. Elle parle du corps et le désire à même qu’elle déconstruit le langage, dans une danse facile et absolue avec les mots comme matière, cette matière qu’elle monte à cru, comme un gaucho d’Argentine.
Je l’aime parce qu’elle est foncièrement libre, parce que son surréalisme excitant nous permet l’espoir et le plaisir. Ses poèmes donnent de l’oxygène à celui qui les lit et permettent le recul et la dérision face à la société et sa rudesse. Elle sait construire le rêve et le poème.
[…]
Vous ne connaissez pas mon visage de nuit
Mes yeux tels des chevaux fous d’espace
Ma bouche bariolée de sang inconnu
Ma peau
Mes doigts poteaux indicateurs perlés de plaisir
Guideront vos cils vers mes oreilles mes omoplates
Vers la campagne ouverte de ma chair
Les gradins de mes côtes se resserrent à l’idée
Que votre voix pourrait remplir ma gorge
Que vos yeux pourraient sourire
Vous ne connaissez pas la pâleur de mes épaules
La nuit
Quand les flammes hallucinantes des cauchemars réclament
le silence
et que les murs mous de la réalité s’étreignent
Vous ne savez pas que les parfums de mes journées meurent
sur ma langue
Quand viennent les malins aux couteaux flottants
Que seul reste mon amour hautain
Quand je m’enfonce dans la boue de la nuit
[…]
Extrait de « Pericoloso sporgersi », Rapaces