Je voudrais étouffer les garages dans tes yeux
ils ressemblent à deux œufs
je sais pas ils sont jaunes
comprends-moi le café était chaud
mais on n’a pas trouvé d’endroit où le boire
c’est évident les bancs coulaient
dans le bon sens des rivières
c’était comme flatter un chat
mais soudain la tête chavire
et des idées se noient
l’idée de devenir une paire de gants
qui flotte
je suis trop occupé
à construire des garages dans mes yeux
à convaincre quelqu’un
de me laisser coucher dans l’huile de son corps.
Né en 1984 au Nouveau-Brunswick, Daniel Leblanc-Poirier est écrivain, auteur-compositeur et technicien en génie civil. Il a publié sept recueils de poésie récompensés, entre autres, par les prix Félix-Leclerc et Jean-Lafrenière-Zénob du Festival international de la Poésie de Trois-Rivières. Il a aussi été finaliste aux prix Antonine-Maillet et Champlain pour son premier roman, Le cinquième corridor.
Sa vision de la poésie
Je crois que la poésie serait quelque chose comme le symptôme d’une maladie. Ce qui constitue le cœur de ce trouble mental est l’idée bizarre, la façon non conventionnelle de voir les évènements et les objets. Si, par exemple, quelqu’un regarde un lampadaire et se dit « ce lampadaire a l’air déprimé » (parce qu’il associe la courbe du lampadaire à la posture d’une personne déprimée), cet individu vient d’avoir une pensée de poésie. C’est cette pensée qui constitue l’essence du poète. Ensuite, pour certaines personnes, vient l’écriture. Comment bien présenter en mots cette idée atypique? Le défi est de taille, car le langage est contraignant. Les idées bizarres dans la tête des poètes sont vastes et nébuleuses. Ce sont souvent des ressentis. Alors, lorsque l’on doit les verbaliser, on ne trouve pas toujours les mots justes. Toutefois, je ne crois pas que l’écriture soit essentielle à la poésie. Plusieurs poètes n’ont jamais écrit. Il y a de ces personnes qui ont la pensée poétique, toujours en train de réfléchir en métaphores. Ce sont des poètes. Avoir des pensées qui déforment la réalité serait, pour moi, le seul critère. Ainsi, je suis d’avis que la poésie et l’écriture sont deux choses séparées.
Le destin tragique d’Huguette Gaulin met en relief la poésie qu’elle a laissée en héritage. En effet, son suicide nous amène à jeter un regard différent sur son écriture. Huguette Gaulin s’est immolée sur la place Jacques-Cartier, à Montréal, à l’âge de 28 ans. Avant de mourir, elle a crié « vous avez tué la beauté du monde », ce qui en laisse imaginer beaucoup sur son état de révolte. La chanson « Ne tuons pas la beauté du monde » interprétée par Diane Dufresne, Garou et Isabelle Boulay a été écrite en son honneur. Poète tourmentée, Huguette Gaulin propose, avec des mots parfois inventés, des poèmes crus et empreints de violence. Tout en étant très érotiques et maternels, ses poèmes éloignent les limites de la poésie jusqu’à un univers complètement échevelé qui appartient à la poète seule.
leur vase nous vomit des vitrines
nous rêvions à des colères magnifiques
qu’elles s’accroissent
et qu’accrochent au passage les marchands
toute roulée de fraîcheur
dans l’écrasement des oranges
silence taudis de l’esprit
(le langage eczémateux n’est pas comme on l’étend
comme on l’entend)
Extrait de Lecture en vélocipède
Tania Langlais est arrivée dans le paysage poétique québécois en 2000 avec son premier recueil, Douze bêtes aux chemises de l’homme, livre qui lui a valu le prix Émile-Nelligan. Poésie extrêmement bien ficelée, qualifiée « d’écriture modèle » par la critique, Douze bêtes aux chemises de l’homme offre un parcours où la poésie rebondit, un peu comme si l’auteure jouait une partie de tennis avec les mots. En effet, cette poète, âgée à l’époque d’à peine 21 ans, nous propose un dialogue symbolique entre différentes voix. À chaque poème, elle brode autour des thèmes de la robe et de la chemise. La chemise symbolise l’homme et la robe, la femme. Par cette métaphore simple, elle nous invite dans un livre d’une profondeur inquiétante. Si on prenait un mot pour décrire l’écriture de Tania Langlais, ce serait « souffle ». En effet, elle possède une façon bien à elle de respirer dans le poème. Ce souffle nous habite quand on le lit. Très féminine, son écriture reste, à ce jour, une référence incontournable de la poésie québécoise moderne.
il se penche précisément
sur le sein gauche il mord
miniature la robe
la naissance à peine
d’une blessure égale
aux taches laissées par la sangria
un soir passé
au nord déjà de sa chemise
pour une promesse espagnole
Extrait de Douze bêtes aux chemises de l’homme