(Lire à voix haute)
Jeune,
j’ai grandi en crisse, engrossé d’envies d’transgresser
adulte,
j’prends vie dans c’grinc’ment
Éternel adolescent sans histoire,
j’ai démoli les bullies nubiles
déboulonné et pilonné les pires débiles haineux
mais chaque fois j’leur cassais ‘a gueule
au fond j’me fessais d’dans; à 27 ans, mon passé coagule
mon adolescence maligne
tranquillement
candidement
me grandit d’dans
tandis qu’encore,
ses vieilles moqueries m’occupent, ininterrompues :
T’es rendu en thérapie hanté râpé à’ peau hein t’es rompu
Tu t’crinques tu
t’traînes tu
trinques tu
tinques
jusqu’à t'éreinter
et qu'tes reins tombent
j’t’entame, t’enterre en tératome
j’te grandis d’dans t’es rien Tom
Ma carcasse craque
mes sangles claquent
mes sanglots à court
c’est ça Langlois cours,
tu jappes t’es scrap y’est quatre du mat’ su’l cadran
tu t’garroches aux toilettes t’accroches aux cadres et
craches une flaque de sang
indécent lac de cendres
C’matin ma glace craque décembre,
j’voudrais ravoir mes dix-sept ans juste pour me d’mander d’pas céder
à m’autosaboter
parce que c’est l’adulte que j’aurais pu être qu’ado j’ai dépossédé
de toute sa beauté
j’voudrais m’dire ton torse se bombe
à retardement
des tabous bordés
par ta puberté
imbibé d’abus à bout portant
que t’as pas pu porter
aie p’us peur d’eux
Poète et créateur tant multidisciplinaire qu’indiscipliné, Thomas Langlois est diplômé d’un baccalauréat en théâtre et d’une maîtrise en arts de la scène et de l’écran en théâtre à l’Université Laval. Il se produit lors d’événements liés au slam, à la poésie orale ainsi qu’aux arts de la scène, par la création de spectacles tels que Imanipulaton (2017), ...manquante (2017), Faudrait qu’on s’raconte (2017), Lapalissade (2017), Carnaval Carnivore (2016) et Panpan! (2015). Il a publié deux plaquettes de textes à slamer, Faire mal, volume 1 (2015) et Faire mal, volume 1, chapitre 2 (2016) aux éditions Les croque-mots, du Tremplin d’actualisation de poésie (TAP). Enfin, il est champion slam de la Capitale (2011, 2015 et 2017), champion slam du Québec (2017 et 2018), vice-champion du monde à la Coupe mondiale de slam de Paris (2018) et co-gagnant du concours international Slam-O-Vision de Melbourne (2020).
Sa vision de la poésie
Ma poésie est une paire de ciseaux ouverts et je cours avec.
Ma poésie est une arme blanche qui fait tant bien que mal, que je m’amuse à retourner contre et pour les autres, pour et contre moi-même. J’aime la poésie qui naît d’un mouvement amoral et cru, comme hors du temps et hors de moi, une transgression vitale et douce-amère du monde. Faire de la poésie, c’est cabotiner un langage donné pour en extraire une langue clandestine et, ainsi, participer à la recréation de ce même langage. C’est se réécrire pour se surprendre. Par extension, être poète, c’est tordre sa perception verticale du monde jusqu’à la rendre horizontale et malléable. Ensuite, le monde, il faut le mettre à mort et l’accoucher en même temps, et ce, à chaque poème.
J’ai observé que la vitalité de la poésie se vérifie par son absence. Si, après le passage du poète, rien n’a bougé, si nous ne ressentons pas cette sensation forte de mise à mort et de renaissance du monde, c’est qu’il n’y a pas eu de poésie.
Claude Gauvreau est un poète et dramaturge québécois mais, surtout, un rêveur amoureux fou.
Fervent défenseur et contributeur du mouvement automatiste au Québec, Claude Gauvreau signe en 1948 le Refus global, important manifeste québécois. Il m’est toujours apparu comme un grand funambule, une sorte de marcheur chancelant toute sa vie entre poésie et aliénation. Gauvreau écrivait et parlait une langue sensible et riche, assoiffée d’une liberté démesurée, presque choquante. Une langue qui s’écrit et se parle avant de s’apprendre : l’exploréen.
Amoureux fou de l’actrice Muriel Guilbault, sa muse incomparable, pour laquelle il écrit le roman Beauté baroque (1952), Gauvreau n’avait pas besoin d’être aimé en retour pour que sa poésie transpire d’un amour et d’un désir de vivre incandescents, dont la brillance outrepasse encore sa mort tragique en 1971.
C’est dans cette avidité de liberté totale dont témoigne la langue poétique de Gauvreau, ainsi que son amour sans compromis de l’autre et de la poésie, que j’imbibe, tant que je le peux, ma propre langue.
La censure? La censure! La censure, c’est la gargouille qui vomit hideusement son plomb liquide sur la chair vive de la poésie! La censure, c’est l’acéphale aux mille bras aveugles qui abat comme un sacrifice sans défense chaque érection de sensibilité délicate au moyen de ses moulinets vandales! La censure, c’est l’apothéose de la bêtise! La censure, c’est le rasoir gigantesque rasant au niveau du médiocre toute tête qui dépasse! La censure, c’est la camisole de force imposée au vital!
Extrait de Les oranges sont vertes
Il faut poser des actes d’une si complète audace, que même ceux qui les réprimeront devront admettre qu’un pouce de délivrance a été conquis pour tous.
Extrait de La charge de l’orignal épormyable
Antonin Artaud est un homme de théâtre et un poète français, fier aliéné et père du théâtre de la cruauté.
Toute sa vie, Antonin Artaud souffre de ce que je me plais à diagnostiquer comme étant une intensité créative maladive ; enchaînant les hôpitaux psychiatriques, il achève sa vie rongé par le cancer et dévoré par sa propre créativité.
Fasciné par le théâtre balinais, Artaud imagine le théâtre de la cruauté. Il en défend le rêve dans sa collection d’essais Le théâtre et son double (1938), entrevoyant alors un théâtre plus vivant que vivant, qui transforme et ne laisse personne indemne.
À mon tour, je cherche une poésie dont l’oralité et la performativité ouvrent la possibilité d’un travail approfondi sur la sonorité des mots et l’expérience sensible du spectateur. Et je l’avoue, je m’efforce aussi de rendre ma poésie la plus cruelle possible.
Et d’où vient cette abjection de saleté?
De ce que le monde n’est pas encore constitué,
ou de ce que l’homme n’a qu’une petite idée du monde
et qu’il veut éternellement la garder?
Cela vient de ce que l’homme,
un beau jour
a arrêté
l’idée du monde.
Deux routes s’offraient à lui :
celle de l’infini dehors,
celle de l’infime dedans.
Et il a choisi l’infime dedans.
Là où il n’y a qu’à presser
le rat,
la langue,
l’anus
ou le gland.
Et dieu, dieu lui-même a pressé le mouvement.
Dieu est-il un être?
S’il en est un c’est de la merde.
S’il n’en est pas un
il n’est pas.
Extrait de Pour en finir avec le jugement de Dieu
(transcription de Stéphane Chabrières)