Alors, nous
époussetions le temps
ou ton squelette de carbone.
Nous grattions
notre jardin, notre
fraction de fatalité,
inconsolables. Les recoins
tachés de craie,
la craie qui est le cancer
qui est une cosmogonie vulnérable.
Ces derniers temps il avait fallu
des étincelles,
l’incendie presque entier
et tu ne t’étais quand même
pas animée. Je
déposais une limite
plus sobre,
une année triste,
je fouillais la piscine
en quête d’une créature
à t’offrir. Ce qui
m’échappait : ta cérémonie
commerciale, ta
candeur soupçonneuse,
ta peur tassée
serrée
qui t’empêche de respirer.
Née à Montréal en 1991, Roxane Desjardins est écrivaine et éditrice. Son premier livre, Ciseaux (Les Herbes rouges, 2014), lui a valu le prix Émile-Nelligan et le prix Félix-Leclerc de poésie. Elle a ensuite publié Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire, un récit, ou plutôt un autoportrait, écrit à la main, puis les livres de poésie Le revers (2018) et Trou noir (2023), livres pour lesquels elle a été finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général. Elle a également fait paraître quelques suites de poèmes en revue et l’anthologie La poésie des Herbes rouges (avec Jean-Simon DesRochers), une traversée des 50 premières années de vie de cette revue devenue maison d’édition, qu’elle codirige désormais.
Sa vision de la poésie
Si le langage était tangible, il serait dans les airs, devant mes yeux, disponible, gaspillé, trop vaste. Le poème, ce sont les ciseaux avec lesquels on attaque la matière du langage.
Le poème prélève dans la langue ce dont il a besoin pour prendre forme; et pourtant la langue n’en est pas privée, elle s’en alimente. Les formes étranges que le poème fabrique servent à nommer des mouvements subtils qui échappent aux phrases du quotidien.
Dans la poésie on peut tout essayer. Nous en avons besoin absolument : sans essayer, nous n’arrivons à rien de nouveau, et nous souffrons sans espoir. Grâce au poème, nous faisons l’expérience de ce qui donne de la joie autant que de ce qui blesse; nous pouvons tout transformer, tout ouvrir.
Les poèmes de Laurance Ouellet Tremblay sont bruts, brusques, emportés et profondément tendres. Ses livres se déploient dans un rythme singulier, proche de la parole, à l’écoute de ce que la langue, quand on la laisse aller, peut nous apprendre sur ce que nous cherchons à nommer. Était une bête retrace, en listes, implosions et dialogues intérieurs, le parcours d’une fille que tout le monde rejette dans la cour de l’école. salut Loup! est un livre sur l’engendrement, sur la naissance, sur la colère, sur l’entrée dans le monde. Laurance Ouellet Tremblay a également publié le récit Henri de ses décors. Elle est professeure de création littéraire à l’Université McGill.
Puisque vous ne connaissez que la mauvaise foi, nous, les décrissés de fonds de tiroirs, les hosties de bouts de bois vert pas de voix, les histoires qui ne se tiennent pas encore debout, les petits loups pas sauvages pas conquis, reconnaissons aussi notre droit à la colère la plus virulente, déraisonnable et insolente qui soit.
Extrait de salut Loup!
Michaël Trahan a une roche dans sa poche. Une petite roche un peu coupante et lourde; c’est inconfortable, il la prend dans sa main. Il suit ses contours et ses arêtes avec son pouce. C’est comme ça que je lis ses poèmes, comme je regarderais une roche très attentivement, comme je caresserais des arêtes. Cela a à voir avec les mots qui reviennent, qui se répètent; on les reconnaît! ce sont eux, les mots qui ont notre couleur, notre saveur, qui puent un peu la famille. Est-ce que j’ai écrit ces poèmes en rêve? On dirait un terrain connu. C’est une écriture obsessive, bienveillante, qui aime les détails. Michaël Trahan a publié Nœud coulant et La raison des fleurs. Il dirige la revue de poésie Estuaire.
Histoire vraie, pente
glissante. Frères, chevaux,
je n’attends plus je m’approche
de la figure qui s’esquive. Le vertige
soude les os ensemble mais le rêve
assouplit chaque nuit la chair
de mes fantômes le rideau bouge
je n’en peux plus je ferme les yeux.
J’ai peur de l’avenir comme du chiendent.
Extrait de La raison des fleurs