Grandir devant la branche cassée
d’un arbre décoratif
le malheur est la seule
beauté des cours.
À l’Auberivière la vie
a la couleur du gras de steak
dégoulinant des barbecues et le goût
d’un vieux maillot oublié sur la corde.
Ici tous croient aimer les oiseaux
leur tête ne sait plus se lever
le soir ils frissonnent dans leurs fauteuils
leurs caves sont pleines de vieilles télécommandes
ils cherchent le poste idéal
qu’on leur donne qu’on en finisse.
L’Auberivière compte 198 enfants
le tiers rêve la bouche ouverte
pour évacuer les démons du jour
quelques-uns ont déjà déterré
les futurs squelettes de leur tragédie personnelle
cinq ou six ont fait des voyages astraux
quatre ou cinq en sont revenus
une fille court à l’envers
elle se prépare pour les Jeux olympiques du bonheur.
Parmi toutes les sortes de présent
le sien se situe au début du continuum
dans un matin lent à dégriser
d’une grosse brosse de néant
à l’autre bout les morts
descendent le perron des maisons préfabriquées
une coupe de mousseux à la main
des trucks circulent sur les chemins de boue
il bruine et il fait froid.
Parfois il lui semble
qu’on s’est trompé de personne
de cellule de réalité de bocal
elle cherche l’interrupteur.
Auteure et critique littéraire au magazine Nuit blanche, Judy Quinn a publié cinq recueils de poèmes aux Éditions du Noroît, dont Pas de tombeau pour les lieux (Prix littéraire du Gouverneur général), un roman aux Éditions de l’Hexagone intitulé Hunter s’est laissé couler (Prix Robert-Cliche) et deux romans chez Leméac, Les mains noires (2015) et L’homme-canon (2018). Elle est entre autres lauréate du Prix Félix-Antoine-Savard de poésie.
Sa vision de la poésie
Plus j’écris de la poésie, plus il m’est difficile de la définir. Est-ce seulement des images? Des phrases sans bon sens? Mais quand elle apparaît, je la reconnais : la poésie fait vivre en moi un lieu que je ne soupçonnais pas encore. C’est comme jeter une pierre au fond d’un puits. Il y fait toujours noir, mais l’écho qui résonne nous laisse deviner ce qui s’y cache. Il y a des milliers de puits en chacun. Même ailleurs, dans les arbres, le ciel, une chambre.
Encore un poète qui est mort jeune (jeune... disons qu’à 44 ans, il avait plusieurs années d’écriture devant lui). Néanmoins, en à peine 20 ans, il publia une trentaine de recueils qui ont marqué nombre d’écrivains québécois. C’est que Michel Beaulieu avait l’art de transfigurer le quotidien, de lui faire dire autre chose. Sa poésie évoque des éclats de conscience, comme nous en avons tous. Même s’ils ne durent pas, ces moments créent des ponts entre le monde et nous. Nous ne savons jamais trop ce qui a été aperçu, mais quelque chose remue en nous, comme un supplément de vie.
j’ai lu dans un livre de science-fiction
que le temps s’abolit l’espace de même
il suffit peut-être mais le livre ne le dit pas
de s’asseoir de fermer les yeux d’attendre
que commence de rouler la roue des veines
avec ses picotements à l’intérieur des yeux
il suffit peut-être de dessiner ton ombre
sur une feuille piquée aux quatre coins
pour que tu surgisses du lointain des hémisphères
il suffit peut-être de rien du tout
de mourir en soi d’une mort assidue
chaque nuit de chaque soir de chaque jour
avec cette pluie qui nous voile les yeux
Extrait de FM, Lettres des saisons III
C’était un original. Né en Roumanie sous le nom de Samuel Rosenstock, qu’il changea pour Tristan Tzara lorsqu’il émigra à Paris, l’homme au monocle est le fondateur du dadaïsme, en quelque sorte le premier mouvement anarchiste de la littérature. « Dada est tatou, tout est dada », clamait-il dans des soirées surréalistes (le surréalisme est venu après, mais bon…) où il s’amusait à déstabiliser les gens par des actions théâtrales et absurdes. Malheureusement pour Tzara, l’histoire a fait de lui un clown. Pourtant, peu de vers m’auront paru aussi graves et profonds que les siens. Ce poète, qui était aussi mathématicien, m’aura fait comprendre qu’entre le langage et la réalité, il y a un grand gouffre, et que quand bien même on userait de tous les mots du monde, jamais on n’arriverait à révéler la nuit qui est en nous. Mais aussi, qu’il n’y a rien de plus beau que cette vie cherchant la lumière et le sens.
je pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu’on appelle nous
Extrait de L’homme approximatif