debout
le regard porté à l’horizon
visage devant
façonné dans l’aplat du temps
debout sur ce sourire
vieille expression de la peur
joie du vide
vertige aimanté
plaisir expédié
confiance supplémentaire
l’homme debout sur deux mains
célébrant la fête des fous
jonglant avec
l’espace et le temps variable
selon la géométrie
des points de suspension
l’homme debout sur ses pieds
inventant les outils
pour lui-même se faire
l’homme debout
sur son orgueil
s’armant à tout rompre
contre le danger dehors
debout
devant la porte close qu’il est
debout
courant le 5 à 7 des aubaines
debout sur la crête des palais commerciaux
une crevasse à l’envers
animal debout toujours assis
goinfre d’écran et de route
dans son char allégorique
étirant les panoramas
étirant jusqu’à plus soif
poussière d’usine ou éclats
debout comme un valet
assis
dans l’industrieuse atmosphère
Hélène Matte est une poète issue des arts visuels qui dit, une artiste plasticienne qui écrit. Sa pratique interdisciplinaire inclut particulièrement le dessin, l’art-action et les poésies manifestes hors du livre. Poète de la vocalité, elle déploie sa poésie sous forme de prestations scéniques, d’enregistrements et de vidéopoésie. En plus de multiplier les présences lors de récitals, elle crée ses propres stand-ups poétiques auxquels images, installations et performances participent. Elle compte à son actif plusieurs expériences de diffusion en Europe, au Canada et ailleurs dans les Amériques. Doctorante en littérature, art de la scène et de l’écran de l’Université Laval, elle interroge les notions de voix, de rencontre et de poésies expérimentales à travers une recherche et une série de créations. Aussi, en tant que travailleuse culturelle, elle est tantôt directrice artistique, commissaire, coordonnatrice ou administratrice, tantôt médiatrice ou critique d’art. Depuis 2007, année où elle était finaliste au championnat provincial de slam, elle offre des conférences et des ateliers de poésie aux écoles et aux associations. Son dernier recueil, Une Babel de pierres vives (2019), est issu du projet multidisciplinaire ZumTrobaR, un hommage au médiéviste Paul Zumthor en collaboration avec le multi-instrumentiste Michel Côté.
Sa vision de la poésie
La poésie est une prise de parole qui peut être un exutoire ou un jeu. Un poème donne le ton et développe un rythme qui lui appartient. Aussi, il est chaque fois une occasion de rencontre et d’écoute particulière. La poésie fait vibrer les mots. Résonnant entre eux et rebondissant dans le labyrinthe de l’oreille qui entend, ils créent du sens, harmonieux ou hirsute. Celui qui écrit un poème se met à découvert, il offre sa sensibilité et son intelligence, comme un don. Ce qui est fantastique, c’est que plus que de le rendre vulnérable, cette générosité lui attribue une force : celle de dire à sa manière.
Pierre Perrault est un important cinéaste québécois. Ses documentaires, réalisés avec un minimum de technique et un maximum d’humanisme, ont propulsé ce qu’on nomme le « cinéma direct ». Homme de parole, il a aussi fait beaucoup de radio.
La poésie traverse tous ses ouvrages et se condense plus particulièrement dans quelques recueils. Réfléchissant le territoire dans sa splendeur, sa diversité et la complexité de ses enjeux, l’œuvre de Perrault pose un regard à la fois critique et attendri sur la réalité québécoise. Ses poèmes sont tantôt des éloges à la beauté, tantôt des charges politiques dont la colère, contenue, est incisive. J’aime son franc-parler aux accents à la fois précieux et populaires.
[…]
et j’habite les toits
qui ne sont pas à toi,
ma frileuse,
ni à mon père le ferblantier
qui les a ruminés
de la plus haute fantaisie
pour garder le cœur à rire
Extrait de « À bout patience »
En désespoir de cause, poèmes de circonstances atténuantes
Zumthor est un formidable érudit. Par ses écrits, il trace de vastes paysages historiques et des portraits de civilisations. En tant que spécialiste du Moyen Âge, il s’est particulièrement intéressé à la place de la voix comme mode de transmission. À cette époque, les livres n’avaient pas la place qu’ils ont aujourd’hui, puisque l’imprimerie ne s’est installée en Europe qu’à partir de 1450 environ.
Les poèmes de Zumthor transmettent l’amour des mots et de la vie. Intimistes, ils activent néanmoins tout le bagage de connaissances de l’auteur en jouant avec les manières de composer ou encore avec des thèmes propres au Moyen Âge. Ici, une « jonglerie » avec la lettre A :
Arbre âpre amour hardiesse
ameutée en aval de l’âme
ardente
amère
alchimie acharnée absurde
arcane
arraché
à l’avide athanor
Extrait de Fin en soi