Je suis né en état de pesanteur dans le ventre d’une femme
la vie m’a tout de suite paru étrange
souffrir et rire avec mes frères humains
m’a aidé à comprendre le néant
je suis né lourd et finirai plus léger que ma plume
ce qu’il restera de moi
se retrouvera entre deux lignes
je suis venu maladroit et beau comme un enfant
aider d’autres enfants à jouer
à mettre sur table leurs cartes de collection
afin de laisser le vent les disperser
je suis venu apprendre à mourir
afin de mieux vivre parmi les autres
Guy Marchamps est né à Trois-Rivières. Animateur littéraire et culturel depuis 1980, il est cofondateur de la revue Art Le Sabord (1983) et organisateur de plus d’une centaine de rencontres littéraires et spectacles de poésie. Il a exercé plusieurs métiers tels que travailleur d’usine, technicien de scène, bibliothécaire, professeur de littérature, libraire et chroniqueur culturel à la radio. Il a publié une quinzaine de livres de poésie dont L’innommé (prix Clément-Morin et Prix de littérature Gérald-Godin). En 2011, il a reçu le Prix à la création artistique du CALQ pour la région de la Mauricie. Il a publié six livres de poésie pour les enfants, dont Le chien-hélicoptère et autres poèmes chez Soulières éditeur (2012) et Bêtes aux Éditions de la Bagnole (2012). Il a fait de nombreuses rencontres dans les écoles et festivals et a été finaliste à de nombreux prix, dont Québec-Wallonie/Bruxelles de littérature de jeunesse, Hackmatack, et TD de littérature pour l’enfance et la jeunesse. Il participe depuis plus de vingt ans à des activités littéraires de tous genres tant au Québec qu'à l'étranger.
Sa vision de la poésie
La poésie nous permet de dire par son rythme et sa musique des choses que nous ne pourrions exprimer autrement. Elle nous donne de l’air et de l’espace afin de pouvoir respirer dans ce monde étouffant par ses conventions et ses trop nombreuses règles.
Patrice Desbiens est né en Ontario, mais habite au Québec depuis de nombreuses années.
Il a publié plus de 25 livres de poésie. Sa poésie est axée sur la vie quotidienne, c’est-à-dire que la majorité des sujets proposés ont été vécus par l’auteur. De prime abord, cette poésie peut paraître banale, ordinaire. Il suffit d’approfondir sa lecture pour s’apercevoir de la grande force évocatrice des mots choisis. Patrice Desbiens a été musicien et cela est évident tant sa poésie est rythmée. Les musiciens sont souvent mentionnés et font partie du bagage culturel du poète. Les poèmes de Patrice Desbiens sont à la fois drôles et tragiques, comme la vie. Les répétitions et les jeux de mots sont fréquents.
J’ai rencontré Patrice à Québec en 1987 lors de la Rencontre internationale Jack Kerouac.
Nous sommes tout de suite devenus amis. Je ne connaissais pas sa poésie. Je me revois dans un autobus de la ville lisant Dans l’après-midi cardiaque. Je suis complètement soufflé :
1-
Je me rappelle des trains
je me rappelle des trains qui se promenaient
de droite à gauche à droite dans les grandes
fenêtres de ton grand appartement sous le
petit ciel de Sudbury.
Deux ans si c’est pas plus et je n’oublie
pas le goût de ton cou le goût de ta peau
ton dos beau comme une pleine lune dans
mon lit.
Le goût de te voir et le coût de l’amour
et nos chairs hypothéquées jusqu’au dernier
sang.
Je me rappelle des trains qui ont déraillé
dans tes yeux.
Le nettoyage a été long.
[…]
Extrait de « Le dernier poème d'amour »
Dans l'après-midi cardiaque
Née à Montréal, Medjé Vézina publie en 1934 Chaque heure a son visage, son seul recueil. Dans un monde étouffé par l’Église catholique, elle représente la rebelle et ses poèmes célèbrent l’amour sous toutes ses formes. Cela n’a rien à voir avec la poésie de l’époque qui devait, selon les canons énoncés, parler de patrie, de terroir et de religion. Le lyrisme féminin de Vézina fait éclater les émotions et donne une place à l’individualité. Dans plusieurs poèmes, elle nous fait prendre conscience que nous avons un corps et que ce corps est fait pour l’amour et non pour la souffrance, ce qui est complètement nouveau dans la poésie québécoise de l’époque. Inspirée par Marceline Desbordes-Valmore, poète française du 19e siècle, elle annonce la poésie d’Anne Hébert. Beaucoup trop négligée dans l’histoire de la poésie québécoise, l’œuvre de Medjé Vézina a été rééditée par Les Herbes rouges en 1999 et en 2005. Cette femme audacieuse nous aurait sans doute donné d’autres excellents recueils si elle n’avait pas eu à subir les foudres de son époque conservatrice. Elle ose parler à Dieu d’égal à égal et il faut lire son magnifique poème « Agenouillement », dans lequel elle exprime le doute ainsi que sa foi en l’amour :
[…]
Toi qui fis de l’amour le flambeau de mes nuits,
Soleil brutal jamais éteint qui me poursuit,
Circule dans mon corps et fait ployer ma hanche,
Comme sous les vents lourds, l’arbuste frêle penche;
Toi qui n’assuras pas à l’homme un lendemain,
Pourquoi exigeais-tu mon remords toujours vain?
Pourquoi jalousais-tu mon cœur fou de lumières
Dont les vertiges chauds brusquement chavirèrent?
[…]
Mon doute a plus d’amour que n’en porte la Foi,
Et cet amour blessé me rapproche de Toi.
Je t’ai jeté le cri de ma douleur qui tremble :
Peut-être verras-tu qu’un peu je te ressemble?
Extrait de Chaque heure a son visage