(Lire à voix haute)
Tu te dis que si tu te dis ce que tu te dis,
c’est que tu sais ce que c’est ce que tu sais
et que ce que tu sais pas, c’est pas ce que tu sais.
Si tu savais ce que tu sais pas, tu serais plus ce que t’es,
Mais sais-tu Qui t’es?
Mais sais-tu ce que c’est le Tout que t’es?
Mais sais-tu l’Atout que t’as?
Tant que tu sais pas du tout Qui t’es,
que tu sens, insensé, que t’en sais tant,
t’es que ce que t’as et ce que t’as
hait tant Qui t’es, qu’il tait l’Atout que t’as.
Et t’atteins l’étape où tu tâtes le tas
où tu t’épates de tout ce que t’as,
qui t’appâte, qui t’endette au pas.
Si tu sais si tu situes assez ce Tout que t’es si tu
et que l’Atout que t’as, apte à capter Qui t’es
se hisse à l’assaut de sa cime, aussi, t’es assez assis!
Mais, si tu sais pas du tout Qui t’es,
Si t’es si tissé têtu et si tu t’es sitôt tu,
t’es dans l’hypothétique état, où tout ce que t’as,
hait tant Qui t’es,
que l’Atout que t’as t’acquitte pas,
et tique et, pis, quitte le Tout que t’es.
Après un DEC en arts plastiques, des études en philosophie (UQAM) et des emplois dans le milieu communautaire, André Marceau se consacre exclusivement à la poésie. Sa vision singulière de celle-ci conduit le poète à l’actualiser de façon transdisciplinaire et à s’inscrire comme un pionnier du genre au Québec. Il a publié des livres, sorti des disques et présenté des prestations ainsi que des émissions radiophoniques de poésie, de haïkus, de poésie vivante (performée et slamée), visuelle ou audio. Il a fondé le Tremplin d’actualisation de poésie (TAP), ainsi que les Vendredis de poésie et le Slam de poésie à Québec. Il donne également des ateliers d’écriture, et on l’invite parfois à parler de son travail. On lui a décerné le prix Jean-Noël-Pontbriand en 2014.
Sa vision de la poésie
D’après Jean Piaget, le jeu évolue suivant le développement du cerveau de l’enfant et l’accompagne jusqu’à la maturité, vers 14 ans. Mais après, le jeu ne devient-il qu’un simple divertissement? Pour moi, l’acte de créer est le jeu de l’adulte, grâce auquel nous poursuivons notre croissance.
Et si au fondement de la poésie il y a le mot « poiein » (ancien grec), qui signifie « faire », selon moi, ce « faire » consiste à porter un regard qui « fait », c’est-à-dire qui invente, et il s’actualise dans toutes les disciplines. La poésie est transdisciplinaire.
La poésie n’est pas une forme d’art, c’est l’art qui est une forme de poésie.
Le poète s’investit dans ce jeu qui consiste à tenter de lier sa perception aux infinies complexités du chaos. Le poète fait, c’est pour lui une expérience qui LE fait à son tour. La poésie est une stratégie relationnelle avec le monde, une forme personnelle de spiritualité.
Fondé en 1960, l’OuLiPo (acronyme de « Ouvroir de littérature potentielle ») est un groupe de recherche expérimentale visant à rétablir la contrainte dans la littérature, à l’époque où triomphait l’écriture automatique.
Je connaissais un peu l’OuLiPo pour avoir lu quelques œuvres de Italo Calvino, Georges Perec ou Raymond Queneau. Celles-ci, bien que d’une impressionnante virtuosité, me semblaient fort ludiques et distrayantes, mais éloignées des grandes interrogations sur la vie. Jusqu’en 1989 (j’étais dans la mi-vingtaine), lorsque j’assistai à l’Oulipo Show, de UBU compagnie de création. Ce spectacle me révéla la profonde expérience physique que pouvait impliquer l’audition des mots, lorsque composés pour leur impact sonore. Je me mis alors à écrire des poèmes pour l’oralité en me prêtant à des contraintes propices à la sonorité, en essayant d’allier la critique au ludisme et le fond à la forme.
L’ambition du « Scriptor », son propos, disons son souci, son souci constant fut d’abord d’aboutir à un produit aussi original qu’instructif, à un produit qui aurait, qui pourrait avoir un pouvoir stimulant sur la construction, la narration, l’affabulation, l’action, disons, d’un mot, sur la façon du roman d’aujourd’hui.
Extrait de la postface de La disparition, Georges Perec (Un roman policier lipogrammatique sur la lettre « e », c’est-à-dire qu’aucun mot du roman ne contient la lettre « e »)
Heidsieck est une figure phare de la poésie sonore. Mais en quoi consiste la poésie sonore ? Née à la fin des années 1950, cette forme de poésie se vit à travers les sens, plutôt que par l’image mentale. Las des formes convenues, Heidsieck s’est aussitôt inscrit dans cette mouvance. Bien qu’il persiste à employer les mots, son approche déborde du littéraire. Il juxtapose, sur bandes et en direct, des mots, des phrases qu’il puise dans des lexiques spécialisés. L’étrangeté de l’ensemble éprouve et déstabilise l’auditeur.
Cette rencontre avec Bernard Heidsieck et la poésie sonore fut décisive dans mon travail de poète de l’oralité. Alors dans la jeune trentaine, je me prêtais à l’écriture à contraintes littéraires, précisément pour la dynamique sonore. Or je commençai ainsi à l’enrichir d’une dimension physique, celle d’une mise à l’épreuve du corps.
il y a…
tout autour de nous…
tout autour de VADUZ…
des BOGONS
des FONGRES
des POUCS
des FACHEUX
des HARPIES
des BIGLES
il y a…
il y a des GANOVRES
des ALGOINES
des ÉCHONISES
des GRANDSVIVIERS
des SAUTEURS D'EAU
des COQUILLARDS
Extrait de Vaduz, Passe-partout no 22